« Je rêve d’un monde où l’on mourrait pour une virgule.»
Plus de 10'000 CD du monde entier ornent sa maison de la région grenobloise. C'est d'ici qu'Yves Blanc, voix unique et mystérieuse sur Couleur 3, trouve l'inspiration pour son émission écolo-musicale et sociale, La Planète Bleue. Avec ses bandes-son inédites dans nos contrées, et surtout non-commerciales au plus haut point, made by Yves Blanc.
C'est un bonheur de rencontrer l'homme derrière la voix, celui qui nous fait rêver de l'autre côté du poste.
Un beau matin de juillet, il a vu débarquer une armée de yogini dans son royaume. C'est très généreusement qu'il nous fit découvrir ses trésors, dont un studio d'enregistrement dernier cri, où il décortiqua, rien que pour nos beaux yeux, le processus de production d'une émission. Des sons mis en ondes comme des électroencéphalogrammes. Yves Blanc mixe les différentes sonorités, y ajoute des effets, avant de présenter un morceau comme un tableau de maître à ses auditeurs.
Cet artiste du son reçoit des démos du monde entier et nous confie puiser ses informations dans de multiples rencontres et dans la presse mondiale et scientifique.
Auteur du livre Les Guetteurs du passé, il nous livre une interview espérée depuis longtemps.
Yves Blanc, comment t'est venue l’idée de La Planète Bleue ?
Ce que j’entendais à la radio m’intéressait peu. C’était pareil pour mes amis. J'ai voulu faire la radio dont nous avions envie. Mélanger les musiques dans l'espace mais aussi dans le temps. Je ne suis évidemment pas le seul à me passionner pour les métissages géographiques. En revanche, La Planète Bleue a été la première — et reste la seule — à organiser des télescopages entre musiques nouvelles et musiques primitives. Entre tradition et anticipation, tribal et digital. Vous savez, du sable et du silicium… Selon l'Observatoire de la Musique, seulement 4 % de la production musicale est diffusée par les radios et les télés ! Vous imaginez le champ immense que ça laisse ?! Vous entendez sur La Planète Bleue des musiques que vous n'entendrez jamais ailleurs. Des musiques simultanément exotiques et futuristes.
C'est un peu la même démarche pour le contenu parlé de l'émission. Une bonne partie de la presse répète en boucle les mêmes infos. Alors que tant d'autres informations ne sont jamais traitées ! Je privilégie donc des sujets peu abordés par les médias, des sujets décalés, déviants, parfois tabous. Sur La Planète Bleue, nous parlons de ce dont les autres ne parlent pas : du futur ! C'est un programme insoumis, non-aligné. Dans les années 80, j'adorais le journal Actuel, qui m'a beaucoup influencé. J'avais plusieurs potes qui travaillaient là-bas. Ils parlaient de choses dont personne ne parlait. Du futur des paysages, par exemple. Ou de ce Russe qui a remplacé les sages-femmes par des dauphins. Malheureusement, Actuel n'a pas résisté à la loi qui a interdit la pub pour le tabac et l'alcool. On est quelques-uns à se sentir orphelin de ce genre de presse : ambitieuse, mondiale, futuriste.
Avant de faire La Planète Bleue, tu as été journaliste pour Arte, réalisateur, prof à l'université, tu as fait du rock sur France Inter, de la presse écrite. C’est tout ce cheminement qui t’a amené à produire La Planète Bleue et ta propre collection de disques. En es-tu satisfait ?
J’écoute rarement mes propres émissions. Mais c’est passionnant de les concevoir, de les écrire et de les réaliser. J'y investis un temps démesuré, un véritable non sens économique. Je passe trois à quatre jours pour faire une heure de radio. Quand tu es vraiment indépendant, tu travailles 4 fois plus pour gagner 4 fois moins. Mais c'est un facteur d'équilibre, de calme et de concentration pour moi.
Laisses-tu beaucoup la nature t'inspirer ?
Oui, énormément. J’ai une superbe terrasse en bois avec une vue magnifique sur le Vercors, mais je n’y suis jamais, elle est pleine de toiles d’araignées ! Par contre, je me balade beaucoup. Y'en a qui sortent leur chien, moi je sors mon iPod. J'arpente les forêts, les montagnes, le bord des lacs, toujours avec un casque ouvert. La marche organise un mix inédit entre la musique, le son des pas et les bruits de la nature. Grâce à l'iPod, je fais plus de sport ! J’écoute des musiques électroniques chinoises ou des chansons militantes palestiniennes, et c'est comme ça que mes idées prennent forme. Je vais voir des animaux, des chevaux. On discute et je leur fais écouter mes musiques.
As-tu toujours pris du plaisir à écouter autant de musique ?
Depuis tout petit ! Mes grands frères étaient tous musiciens. Je faisais mes devoirs dans la salle de répétition d'un groupe de rock. Aujourd'hui, j’habite loin des villes. Ici, on vit tous comme des Américains, on se sert de la voiture pour tout : les courses, la poste, le tir à l'arc de mon petit bonhomme, 11 ans. J’exploite tous ces moments pour écouter les nouveautés. Ma voiture est un studio à roulettes. Je colle un post-it sur chaque disque avant de partir, et je note au fur et à mesure les plages qui m'intéressent.
Qu’est-ce que ça fait en toi quand tu choisis la musique ?
C'est un bonheur de révéler des artistes qui sont systématiquement méprisés par les médias. Et ça marche ! Quand La Planète Bleue volume 5 est sortie, on était n° 2 des ventes de disques à Lausanne et à Genève, toutes musiques confondues !
En es-tu fier ?
Oui, ça fait quelque chose. Tu sais, quand on se tape des journées de 20 heures… Et les "écouteurs" le comprennent. Quand tu ne méprises pas ton audience (ou tes lecteurs ou tes spectateurs), elle te le rend bien. Je reçois une flopée de mails du monde entier. C'est très excitant.
De toutes les émissions que tu as faites jusqu'à présent, quelle est ta préférée ?
Ouh ! Difficile à dire… Peut-être La Planète Bleue sur la décroissance. Je savais que c'était un sujet immense depuis des lustres. J'ai longtemps hésité avant de m'y lancer. Des amis me poussaient à aborder ces thèmes, la bouffe, la viande, ralentir, consommer moins… Ça a été un boulot dingue, des semaines pour une heure d'émission, des relais au Canada, en Scandinavie. Passionnant mais pas rentable ! Si j'avais un patron, ça fait longtemps qu'il m'aurait viré.
Parle-nous de ton livre, Les Guetteurs du passé.
C'est un regard sur notre époque et notre futur proche, porté par quelqu'un qui vit dans une centaine d'années, un historien du futur. Donc lui se situe après le grand crash. Il est stupéfait que personne n'ait rien fait, que tout le monde ait tout laissé filer. Les riches, de plus en plus riches, trop occupés à compter leurs billets, et les pauvres, de plus en plus nombreux, trop occupés à survivre tant bien que mal. Plutôt mal, d'ailleurs. C'est un regard assez noir sur nos générations, celles qui ont conduit la planète à sa perte. Mais pas mal de gens le trouvent en même temps drôle. On y retrouve plusieurs thématiques abordées sur La Planète Bleue. C'est un bouquin un peu à part : pas vraiment un roman, pas vraiment un essai, une fable futuriste qui parle d'aujourd'hui… Mais bon, c'est assez délicat de parler de son propre bouquin. Si vous voulez en savoir plus, allez jeter un œil sur laplanetebleue.com où une page est consacrée aux Guetteurs du passé. On a mélangé les commentaires des journalistes et ceux des lecteurs, vous verrez, ça donne envie…
Tu as déjà créé 6 volumes de la collection La Planète Bleue, qui se vendent très bien. Prêt pour d'autres éditions ?
Pas sûr. Ça dépend dans quelles conditions. L'histoire de la collection de disques est assez rock'n'roll ! Les rapports avec les artistes et avec le public sont vraiment superbes. C'est génial et j'adore ça. Mener toutes ces recherches, travailler avec les plus grands dessinateurs, j'ai une petite équipe formidable. Mais il y a aussi la face sombre. Produire une collection, c'est un travail d'une certaine ampleur, et il est parfois difficile de tout contrôler.
Il ne nous reste plus qu’à te souhaiter un avenir plein de succès, cher Yves ! Et merci pour ton émission qui nous fait voyager, rêver et voir les choses sous un autre angle.
Entretien Corinne Tâche-Berther, pour 7Sky People.